L’INCROYABLE HISTOIRE DE ASICS - Du trafic d’alcool clandestin à l’empire du sport
ASICS est l’une des marques de sport les plus influentes au monde. Depuis des décennies, elle se classe en tête des ventes des chaussures de running en France et sur une bonne partie de la planète. Mais ce succès est avant tout celui d’un homme : Kihachiro Onitsuka. Comment cet ancien officier de l'armée impériale japonaise sans argent et sans aucune compétence de l'industrie du sport a réussi à créer un empire du sport dans un Japon ancré dans les traditions ancestrales?
L’après Seconde Guerre Mondiale au Japon : entre reconstruction et volonté de revanche
Nous sommes à l’été 1948 à Kobé, une métropole japonaise située en bordure de la mer de Seto. À l’approche des années 1950, la ville est un véritable chantier à ciel ouvert. En 1945, une grande partie de la cité a été entièrement détruite.
Les conséquences de la Seconde Guerre mondiale ont été une période de bouleversements pour les Japonais. L'empire a été officiellement dissous et contraint à la démocratie par les forces alliées qui occupent le pays. La nation insulaire auparavant refermée sur elle-même doit maintenant s'ouvrir sur le monde de gré ou de force.
L’économie est sinistrée et pour tenter de survivre, Kihachiro Onitsuka un ancien officier de l'armée impériale d’à peine 30 ans a trouvé un emploi sur le marché noir. Il aide un Baron local à gérer une taverne de vente illégale de bière aux GI Américains.
Mais cet emploi est loin de satisfaire l’ancien officier. Son patron n'a de considération que pour lui-même et il est obsédé par l’argent. Onitsuka a quant à lui une tout autre idée en tête : il veut à tout prix aider son pays à surmonter l’humiliation de la défaite de la guerre.
À cette époque, la plupart des Japonais vouent encore une dévotion totale à l'empereur qui incite le peuple nippon à se mobiliser pour reconstruire le pays afin de rendre au Japon tout son éclat. Onitsuka compte bien apporter sa pierre à l’édifice.
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D’autant plus, qu'il n'a jamais pu servir en tant que combattant dans les forces impériales.
Il avait pourtant intégré l’école des officiers de l'armée afin de se former au combat. Malheureusement, il se blesse lors d'un tournoi de sumo et doit renoncer à prendre les armes pour honorer son pays.
Hanté par la culpabilité d'avoir été épargné par le combat et déterminé à honorer la mémoire de ses camarades tombés sur les champ de bataille, Kihachiro Onitsuka décide de quitter son travail dans le commerce de l'alcool clandestin afin de se rendre plus utile à sa Nation.
Dorénavant sans emploi, il doit se reconvertir. Malheureusement, à cette époque, le travail se fait rare et sa situation économique commence à devenir critique.
Asics, des terrains de basketball à la salade de poulpe
Afin de trouver de l’aide, il part à la rencontre d’un ancien camarade de l'armé, un certain Kohei Hori.C’est le chef de la section santé et éducation physique au sein du Conseil préfectoral de Kobé. Il n’a aucun poste à lui proposer, en revanche, il informe Onitsuka que la ville cherche un fournisseur capable de fournir à la ville des chaussures de sport destinées aux élèves et aux policiers de la ville.
Kohei Hori est un passionné de sport et il explique à Onitsuka l'intérêt pour les enfants et les fonctionnaires de pratiquer une activité physique. Il lui parle également des idéaux d’un certain Pierre de Coubertin, fondateur des Jeux olympiques modernes.
Onitsuka écoute attentivement son ami et tombe littéralement sous le charme des valeurs olympiques :
- Jouez franc jeu
- Faites de votre mieux à tout moment
- Travaillez toujours pour le bien de l'équipe
- Améliorez-vous
- Pratiquez en permanence.
A la fin de leur conversation Hori se tourne vers Onitsuka et lui dit « Connaissais-tu cette expression latine : “Anima sana in corpore sano” (Un esprit sain dans un corps sain).
Onitsuka en est maintenant convaincu : le sport peut aider les Japonais à améliorer leurs conditions de vie tout en les aidant à cultiver l'autorité morale terriblement ancrée dans les traditions Japonaises.
Avec l'aide de Hori, Onitsuka obtient une qualification de distributeur de chaussures et malgré un manque de capital et d’expérience il décide de lancer son entreprise.
En septembre 1949, il crée avec seulement deux employés et un téléphone, l'entreprise Onizuka Co., Ltd." et en devient président.
Malheureusement, il s'aperçoit très vite que les chaussures japonaises qu’il distribue sont de très mauvaise qualité.
Il décide de partir à la rencontre d’un de ses plus gros clients, Yukio Matsumoto, président du club de basketball de l’école secondaire de Kobé. Il demande à assister à un entraînement des élèves, ce que Yukio accepte. À quelques mètres du terrain, il observe attentivement les mouvements de jambes des athlètes et leur demande comment il peut améliorer ses chaussures. Il s'aperçoit que les basketteurs ont tendance à glisser sur le stade et que cela les gêne terriblement.
Après des semaines à essayer d'améliorer ses chaussures, il est épuisé physiquement et moralement. Pour se reposer, il décide de partir chez ses parents. Un soir sa mère lui prépare une délicieuse salade de poulpe et de concombre vinaigré. Il observe alors que les morceaux de poulpe s'accrochent au fond du plat à cause des tentacules. Pourquoi ne pas créer des semelles de chaussures de basket avec des ventouses en forme de pieuvre ?
Il repart à son atelier confectionner un prototype et après plusieurs échecs, il trouve enfin la solution aux problèmes d'adhérence. C’est un succès ! Les jeunes basketteurs raffolent de cette nouvelle chaussure beaucoup plus stable et ils remportent les matchs les uns après les autres.
Malheureusement, pour faire connaître ses chaussures dans tout le Japon, il n’a pas les moyens de faire de la publicité. De plus, il ne dispose d’aucun circuit de distribution pour vendre ses chaussures. Ne pouvant compter que sur lui-même, il décide d’entreprendre un tour de toutes les régions du Japon pour présenter ses chaussures aux entraîneurs et club de sport.
Ce voyage va l’épuiser mais heureusement il portera ses fruits. Ses chaussures de basket deviennent très vite un best-seller et tous les clubs du Japon se les arrachent.
L’expansion d’ASICS, entre réussites et sacrifices
En 1950 l’entreprise Onizuka Co se porte à merveille, les carnets de commande sont pleins et les nouveaux clients affluent de toute la péninsule. Malheureusement, la santé de son créateur se détériore. On lui diagnostique une micro-bactérie tuberculeuse et il doit être hospitalisé d’urgence. Le médecin lui ordonne un repos immédiat. A cette époque, il n’y a pas de traitement contre la tuberculose et les médecins ne lui donnent presque aucune chance de survie. Pourtant Onizuka refuse d'arrêter de travailler. Chaque matin, il appelle ses cadres de l'entreprise et les fait venir à son chevet. Ils doivent noter chacune de ses instructions et appliquer à la lettre ses consignes dans la gestion de l’entreprise.
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Alors que ses jours sont comptés, un médecin lui parle d’un nouveau traitement antibiotique en phase d'expérimentation. Il accepte de servir de cobaye et le traitement fonctionne. Dès sa sortie d'hôpital, il décide de retourner à ses usines afin de se consacrer à nouveau entièrement à la fabrication de chaussures de sport.
Afin de tourner la page de cette période douloureuse, il a l’idée de se lancer dans un projet ambitieux. Fasciné par les marathons Olympiques, il se met en tête de fabriquer la meilleure chaussure possible pour les coureurs de fond.
Des chaussures révolutionnaires pour les ampoules des marathoniens
Onitsuka n’a jamais couru, il aborde donc ce défi avec le regard naïf d'un débutant. Très vite, il s'aperçoit que les marathoniens sont confrontés aux problèmes d’ampoules qui se formaient invariablement dès le 15ème Km. Les athlètes considèrent ça avec fatalisme ; pour eux, les ampoules semblent être un élément indissociable de la douleur du marathonien.
Onitsuka n’est pas du tout d’accord avec cet avis et il décide de remédier au problème. Avec ses équipes, ils dévorent la littérature scientifique sur le marathon. Ils épluchent les rapports de recherche européens et américains. Mais tous sont unanimes : les ampoules sont des phénomènes inévitables en course à pied. Ils décident donc d'auditionner des marathoniens, d’analyser leurs foulées mais malgré leurs efforts ils ne parviennent pas à trouver une solution.
Un soir, alors qu’il se fait couler un bain, Onitsuka regarde ses pieds et il se dit.
“Ce que pense un cordonnier du corps humain n'a aucune importance. Les médecins connaissent mieux que quiconque l'anatomie humaine. Je perds mon temps avec des experts de la chaussure, je devrais plutôt faire appel aux meilleurs médecins”
Dès le lendemain, il se rend à l'université de médecine afin d’échanger avec les meilleurs professeurs de médecine. Ils lui expliquent que la formation d'ampoules est exactement le même phénomène que la brûlure. Le système immunitaire du corps répondant à une zone de la peau confrontée à une chaleur intense. S’il veut éviter les ampoules, il doit donc essayer de refroidir les pieds des coureurs.
Les semaines passent et Onizuka n'a toujours pas réussi à trouver une solution pour refroidir les pieds des coureurs. Un matin, alors qu’il se rend à son usine en taxi, le chauffeur est contraint de s'arrêter à la suite d’une panne. De la vapeur s'échappe de sous le capot et sans eau le moteur n’est plus refroidi.
Dans un éclair d'inspiration Onitsuka pense enfin avoir trouvé la solution ! Il faut de l’eau pour refroidir le pied des marathoniens ! Mais les résultats des premiers prototypes sont très décevants. L'ajout d'eau à la semelle alourdit considérablement la chaussure. De plus, après quelques kilomètres, la chaussure est détrempée.
Les ingénieurs décident donc de passer d'une méthode de refroidissement par eau à une méthode de refroidissement par air. A l’aide de trous sur le devant et sur les côtés de la chaussure et d’une semelle en caoutchouc qui expulse l'air lors de la frappe du pied, ils parviennent parfaitement à ventiler le pied et à éviter les ampoules.
Ils baptisent cette chaussure la Onitsuka Tiger.
La consécration à Boston et l’avènement de l’ère ASICS
En 1951, le marathon de Boston est l'un des premiers événements sportifs internationaux ouverts aux athlètes japonais depuis la Seconde Guerre mondiale. Cette année, le marathonien japonais et survivant d'Hiroshima Shigeki Tanaka,remporte le marathon en 2h27’45 avec une chaussure Onitsuka Tiger.
A la suite cet événement, les ventes de la Onitsuka explose à travers le monde.
En 1967, l'Australien Derek Clayton bat le record du monde sur marathon et devient le premier homme de l’histoire à courir un marathon en moins de 2h10 . A ses pieds, il portait des Tigers.
Malgré cette visibilité incroyable offerte par les athlètes, Onitsuka refuse d’exploiter ses exploits dans des campagnes marketing. Pour Onitsuka la qualité des chaussures parle d’elle-même et il serait malvenu d’en rajouter.
En 1977, Onitsuka décide de fusionner la société de chaussures Onitsuka Tiger avec deux entreprises japonaises de vêtements et d'équipements pour former le groupe Asics (un acronyme de l'expression latine Anima Sana In Corpore Sano.
Dorénavant l'entreprise se concentre sur la fabrication de chaussures d'entraînement haut de gamme, mais pas extravagantes. Leur stratégie est simple : ne plus concentrer le développement de produits uniquement à travers les besoins des athlètes élites mais focaliser le développement de produits en fonction des besoins spécifiques des sportifs amateurs. C’est un véritable changement dans l’industrie du sport qui fera de ASICS l’un des leaders mondiaux du monde du sport.
Pour tous, le marathon est une aventure, un défi qui nous pousse vers l’objectif final : la ligne d’arrivée. Pour Arnaud Tsamère, c’est un véritable chemin, celui de la reconstruction. Il nous raconte comment le sport et la course à pied l’on sauvé.