Justine Braisaz-Bouchet : De l’or olympique à la maternité, rencontre avec une biathlète épanouie
A l’occasion de la troisième édition du Martin Fourcade Nordic Festival à Annecy, nous avons eu l’occasion de rencontrer Justine Braisaz-Bouchet, Championne Olympique de Biathlon. Un échange tout en simplicité avec cette biathlète qui a raflé l’or sous des conditions dantesques aux Jeux Olympiques de Pékin, et qui aborde aujourd’hui avec sérénité la nouvelle aventure de la maternité.
LES JEUX OLYMPIQUES SONT SOUVENT UNE CONSÉCRATION POUR LES ATHLÈTES, MAIS AUSSI UNE SOURCE DE PRESSION. DE TON CÔTÉ, COMMENT EST-CE QUE TU AS ABORDÉ CETTE ÉCHÉANCE PARTICULIÈRE ?
Comme toutes les autres courses ! Je me sentais prête, parce que physiquement tous les signaux de forme étaient au vert, 10 jours avant je remportais une Coupe du Monde en individuel à Antholz, où il y avait beaucoup de similitude avec le site olympique de Pékin qui était en altitude également. Donc forcément, ça m’a apporté beaucoup de sérénité à l’approche de ce gros événement que sont les Jeux Olympiques.
J’étais très au clair sur ce que j’avais à faire. J’avais essayé de bien anticiper même si on ne connaissait pas le site de Pékin parce qu’on n’avait pas pu s’y rendre à cause de l’épidémie de Covid-19, mais je savais ce que j’avais à faire.
FINALEMENT, LE DÉBUT DES OLYMPIADES A ÉTÉ TRÈS COMPLIQUÉ POUR TOI MALGRÉ LA VITESSE À SKI SUPERSONIQUE QUI TE CARACTÉRISE. LE TIR EST TOUJOURS PLUS ALÉATOIRE, ET PUIS ARRIVE CETTE MASS START SUR LAQUELLE TU DÉCROCHES L’OR MALGRÉ UNE MÉTÉO VRAIMENT PAS ÉVIDENTE DU TOUT À DOMPTER.
Oui on peut dire que tout ne s’est pas passé comme je l’aurai aimé, je n’ai pas pu montrer mon meilleur niveau sur les premières courses, mais j’ai sincèrement abordé toutes les courses de la même façon, sans être plus impactée par des contre-performances. L’idée c’était tout le temps de rechercher des solutions, je suis restée égale à moi-même sur toute la durée des Jeux, en construisant toujours pour la course suivante. En restant très factuelle, en posant les choses, les stratégies, etc… ça permet de mettre de côté le doute, les états d’âme par rapports aux déceptions passées, et puis ça m’a amenée jusqu’à la Mass Start !
ALORS JUSTEMENT, RACONTE-NOUS CE MOMENT INCROYABLE MALGRÉ LES CONDITIONS DANTESQUES !
Je me rappelle très très bien de cette journée, j’étais très concentrée sur ce que j’avais à faire, détachée des événements passés et de tous les éléments extérieurs – que ce soit matériels ou humains – j’étais vraiment très concentrée. J’ai pris la course à mon compte, du début à la fin, même quand je me suis retrouvée en milieu de course à plus d’une minute de la tête. Bien sûr il y avait des faits de course, avec les conditions météo et le vent notamment qui était assez capricieux et qui a fait que la course a basculé dès le premier debout. Je suis restée calme dès le départ et jusqu’au dernier tir où je jouais clairement la médaille d’or à ce moment-là.
C’EST VRAI QU’ON T’A VUE ARRIVER SUR LE PAS DE TIR VISIBLEMENT TRÈS SEREINE, C’EST VRAIMENT LE CAS ?
Oui complètement ! J’arrive vraiment sur le pas de tir avec une espèce de sérénité, de zénitude qui m’avait envahie et qui m’a accompagnée jusqu’à la fin.
ET SUR LE PLAN ÉMOTIONNEL, QU’EST-CE QUI SE PASSE À CE MOMENT-LÀ DANS TA TÊTE ? COMMENT ON GÈRE CETTE SITUATION QUAND ON COMPREND QU’ON VA DEVENIR CHAMPIONNE OLYMPIQUE ?
Je prends tout ! Je prends chaque seconde, chaque instant ! Malgré l’enjeu j’étais totalement présente dans le moment, lucide, c’était vraiment une course et un moment incroyable à vivre. Et d’ailleurs bien plus sur le plan émotionnel que sur ce que représentait à proprement parlé cette médaille d’or.
APRÈS DES JO ET DU REPOS BIEN MÉRITÉ, ON ENTAME LA PRÉPARATION ESTIVALE EN VUE DE LA SAISON À VENIR. EST-CE QUE TU DÉVELOPPES DES QUALITÉS SPÉCIFIQUES L’ÉTÉ ?
Je m’entraîne pour le haut-niveau depuis que j’ai l’âge de 13 ans et je suis rapidement rentrée dans un comité régional donc à partir de ce moment-là j’ai vraiment développé l’endurance basique, la DT1, le seuil, et la force. Ça fait plus de 10 ans que je suis dans ce registre-là et aujourd’hui, je travaille aussi beaucoup sur la stratégie de course, toujours le seuil et la VMA, et sur l’explosivité. On travaille vraiment sur toutes les filières, que ce soit physiologique, ou musculaire. On travaille par bloc selon la période de l’année pour développer des qualités bien spécifiques parce qu’on pratique le ski de fond, mais avec une carabine de 3,5kg minimum sur le dos. Donc on distingue toutes ces qualités à développer tout au long de la prépa qui est vraiment très longue, du 1er mai à mi-novembre où démarre la saison. Donc on a 7 bons mois de préparation pour enchaîner des compétitions tout l’hiver, ce qui représente 4 mois et demi très denses avec 9 à 10 compétitions par mois.
L’important pour moi, c’était d’apprendre à me connaître et de développer ces qualités en étant jeune, et de diminuer un petit peu la charge de travail aujourd’hui pour être plus dans le qualitatif.
TU PARLAIS DU SEUIL, COMMENT EST-CE QUE TU TRAVAILLES CETTE PARTIE-LÀ ? TU AS DES ENTRAÎNEMENTS SPÉCIFIQUES PLUTÔT À VÉLO, EN COURSE À PIED ?
Très peu de vélo et beaucoup de course à pied ! Beaucoup de spécifique en ski-roues – en skate – pour tout ce qui est intensité, que ce soit VMA ou seuil. Mais j’aime beaucoup travailler ça en course à pied parce qu’en plus on vit dans les montagnes, donc sur un terrain en côte. Je fais ça sur du court, sur du 30-30, sur du 1min–1 min. Et puis sinon le seuil plus en spécifique, parce que c’est ce qui se rapproche le plus de nos courses de biathlon. J’ai un seuil qui est très proche de mon max, c’est vraiment ma qualité, donc dans la gestion et même stratégiquement, c’est ce qui se rapproche le plus de ce que je vis en course.
EN KM/H EN COURSE À PIED, COMMENT ÉVALUERAIS-TU TON SEUIL ?
Aucune idée ! Je cours vraiment à la sensation, j’ai très peu de données GPS, cardio… J’ai tout ce qu’il faut en général mais je me base uniquement sur mes sensations et je prends des lactates donc je me fais confiance !
TU AS DIT QUE TU FAISAIS DES FRACTIONNÉS COURTS, EST-CE QUE TU FAIS AUSSI UN PEU DE SORTIES LONGUES, DU FOOTING À ALLURE FONDAMENTALE ?
Oui bien sûr, et beaucoup ! Ça représente entre 80 et 90% de notre volume horaire on va dire, et c’est vrai que pour la course à pied on a un terrain de jeu incroyable !
QUAND TU TRAVAILLES SPÉCIFIQUEMENT LA COURSE À PIED ET TES QUALITÉS AÉROBIES, TU FAIS COMBIEN DE KILOMÈTRES À PEUT PRÈS ?
Alors nous on mesure plutôt en heures qu’en kilomètres, et on est souvent sur plus de 10 heures de course à pied par semaine !
EST-CE QU’À L’IMAGE D’AUTRES BIATHLÈTES COMME MARTIN FOURCADE OU ÉMILIEN JACQUELIN PAR EXEMPLE, L’IDÉE DE TE TESTER SUR UN 10KM, UN SEMI OU MÊME UN MARATHON TE TENTE ?
Peut-être à l’avenir oui ! Pour l’instant je reste focus sur le biathlon, et sur la reprise post-accouchement, c’est vraiment mon objectif sur l’année qui arrive. Mais pourquoi pas… j’y ai déjà pensé, j’ai fait quelques trails et je pense que j’y viendrais. En revanche les courses sur route, j’avoue que ça m’attire moins !
EST-CE QUE TU FAIS ATTENTION AUSSI AUX BLESSURES QUE LA COURSE À PIED POURRAIT GÉNÉRER ? VOUS FAITES DE LA PPG UN PEU AUSSI EN BIATHLON ?
Pour l’instant je n’ai jamais eu de douleurs ! Je pense qu’avec une bonne préparation physique on limite les risques. C’est vrai qu’on fait beaucoup de muscu, de renforcement musculaire, à charge et aussi à poids du corps. On mixe les deux, on fait beaucoup de séances de gainage à poids du corps et membres inférieurs et supérieurs chargés.
TU VIENS D’ANNONCER TA GROSSESSE SUR LES RÉSEAUX, ET ON LE SAIT, LA MATERNITÉ ET LE SPORT DE TRÈS HAUT-NIVEAU ONT LONGTEMPS ÉTÉ DEUX NOTIONS PARFOIS TRES DIFFICILES A CONCILIER POUR LES ATHLÈTES.EST-CE QUE DE TON CÔTÉ ÇA A FAIT L’OBJET D’UNE MÛRE RÉFLEXION ?
Oui forcément … c’était un projet qu’on avait avec mon mari depuis des mois voire des années, mais évidemment on avait anticipé par rapport à certaines échéances, et puis finalement après les Jeux Olympiques et le petit Globe en fin de saison, c’était vraiment le bon moment sachant que je voulais repartir sur une olympiade. C’est mon objectif de repartir jusqu’aux Jeux de Milan en 2026.
On a la chance dans notre sport d’avoir des athlètes qui ont ouvert la voie, notamment très récemment avec Marie Dorin-Habert et Anaïs Chevalier-Bouchet. Donc le staff et la fédé sont très au fait sur la gestion d’une carrière de haut-niveau pour une femme qui souhaite avoir des enfants. Il y a eu une belle évolution sur ce sujet.
PAR LE PASSÉ, ON A VU CERTAINES ATHLÈTES COMME ALLYSON FELIX ÊTRE PÉNALISÉE SUITE À L’ANNONCE DE LEURS GROSSESSES (RÉVISION DU CONTRAT A LA BAISSE AVEC MANQUE DE VISIBILITÉ, …), EST-CE QUE TOI TU T’ES POSÉ LA QUESTION DE SAVOIR SI ÇA POUVAIT AVOIR UN IMPACT ? EST-CE QUE TU AS EU DES DOUTES ?
Oui bien sûr, et j’étais prête à ça ! J’étais OK avec l’idée qu’un contrat puisse être revu ou qu’un partenaire ne souhaite plus me soutenir pendant cette période. Ma décision, et notre décision de couple, était très claire par rapport à ça. Et finalement la nouvelle a été très bien accueillie ☺
ON TROUVE ENCORE PEU D’INFO AUTOUR DE LA PRATIQUE SPORTIVE PENDANT LA GROSSESSE. COMMENT EST-CE QUE TOI TU T’INFORMES AUTOUR DE ÇA ?
Je suis plutôt autonome en effet, j’ai pris des conseils de la part du corps médical et des sage-femmes qui m’accompagnent et qui connaissent très bien le sujet parce qu’autour de chez moi il y a aussi plein de traileuses qui sont devenues maman et ce sont de très bons exemples, d’autant plus que la course à pied est un sport d’impacts. Moi j’ai surtout décidé du genre de grossesse que je voulais vivre et de la manière dont j’ai envie d’en profiter. Et j’ai plutôt envie de profiter de ce moment sans trop d’objectifs sportifs. J’ai de la chance, je suis très en forme et j’arrive encore à faire de la course à pied en étant bien suivie. Mais j’ai arrêté la compétition pour éviter les chutes déjà, et puis aussi parce qu’en termes d’oxygénation ce n’est pas super pour le bébé. Aujourd’hui la priorité est un peu ailleurs, j’ai envie d’aborder cette année différemment des autres.
Propos recueillis auprès de Justine Braisaz-Bouchet par Lauriane Autissier & Guillaume Centracchio – Annecy, le 3 septembre 2022